DUPLESSIS' ORPHANS

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Le jeudi 1er juin 2000


Le Devoir - L'Église met de côté l'intransigeance face aux orphelins de Duplessis

Robert Dutrisac

L'Église met de côté l'intransigeance face aux orphelins de Duplessis

L'Église met de côté l'intransigeance et envisage maintenant de participer à un fonds de compassion pour indemniser individuellement les orphelins de Duplessis, comme le suggère le Comité d'appui de Denis Lazure et de plusieurs députés péquistes.

«Nous n'avons pas dit notre dernier mot», a dit Mgr Robert Beaupré, de l'Assemblée des évêques, au cours d'un entretien téléphonique hier. C'est tout un revirement par rapport à la déclaration du 15 septembre 1999, où les évêques avaient bien précisé que c'était là la dernière fois qu'ils se prononçaient sur la question des orphelins de Duplessis.

Dès septembre 1999, l'Assemblée des évêques avait mis sur pied un comité de travail pour se pencher sur les solutions possibles à la situation des orphelins de Duplessis. «On a un consensus sur l'ouverture, sur l'étude, sur les enjeux. Il s'agit de trouver des voies positives», a dit Mgr Beaupré.

Outre ce dernier qui agit à titre de coordonnateur, le comité réunit le président de l'Assemblée des évêques, Mgr Pierre Morissette, l'évêque de Québec et primat de l'Église, Mgr Maurice Couture, Mgr Jean-Claude Turcotte et des représentants des Soeurs grises de Québec, des Soeurs de la Providence, des Petites Franciscaines de Marie et des Frères de Notre-Dame de la Miséricorde, qui agissent au nom de la dizaine de communautés religieuses qui se sentent concernées. La nouvelle position de l'Église à l'égard des orphelins de Duplessis pourrait être connue à l'automne, a précisé Mgr Beaupré.

L'Église a décidé de «mettre en veilleuse» l'approche strictement juridique qu'elle avait fait sienne depuis le début des revendications des orphelins de Duplessis en 1992, a dit Mgr Beaupré. Il reconnaît que l'Église s'est comportée jusqu'ici en «gestionnaire de fonds publics et en gestionnaire d'une entreprise qui emploie 2000 personnes», souhaitant protéger l'intégrité de l'institution contre les offensives juridiques. Les recours collectifs, intentés par les orphelins de Duplessis, ont d'ailleurs fait long feu depuis.

Dans ses travaux, l'Église s'inspire du rapport de la Commission du droit du Canada, rendu à la fin mars et intitulé La Dignité retrouvée ­ Réparation des sévices infligés aux enfants des établissements canadiens. Fruit de deux ans de travail, ce rapport de 500 pages recommande des programmes de réparation négociés avec les victimes elles-mêmes, comprenant, notamment, des indemnisations financières. «On ne peut pas négliger intelligemment l'approche du gouvernement fédéral», a dit Mgr Beaupré. Or, a souligné l'ecclésiastique, cette recommandation est très proche de la suggestion de créer un fonds de compassion auquel participeraient le gouvernement, l'Église et le Collège des médecins. C'est la solution avancée par le Comité d'appui pour la justice aux orphelins de Duplessis, présidé par l'ex-ministre de la Santé et psychiatre Denis Lazure, et à laquelle se montrent favorables une quinzaine de députés péquistes contre la volonté actuelle du premier ministre Lucien Bouchard. Mardi, M. Bouchard a réitéré que la seule offre que le gouvernement était prêt à faire, c'est la création d'un fonds collectif d'aide, doté de trois millions, une solution rejetée d'emblée et jugée insultante par le Comité des orphelins de Duplessis, présidé par l'écrivain Bruno Roy.

Mgr Beaupré a indiqué que la question des orphelins de Duplessis était devenue «un problème de crédibilité, de transparence et de fidélité aux valeurs évangéliques de toute l'Église». L'Assemblée des évêques n'a pu faire autrement que de se montrer sensible à la sévère critique de l'attitude de l'Église dans cette affaire, parue dans la revue Relations, de constater le traitement qu'a réservé à la question la presse internationale et de prendre acte de la position du Protecteur du citoyen en faveur des orphelins de Duplessis.

Mais il est toujours exclu que l'Église fasse ses excuses. «Le mot "faute", on ne l'accepte pas», tout comme l'accusation selon laquelle «le système était en lui-même générateur d'abus. Ce n'est pas prouvé et c'est inacceptable», a dit Mgr Beaupré.

Quant à la couverture internationale, l'Église, tout comme le gouvernement québécois, viennent d'être de nouveau éclaboussés, par Le Nouvel Observateur cette fois. Dans la dernière édition, le journaliste et écrivain Jean-Paul Dubois rappelle les confidences de M. Bouchard contenues dans son autobiographie À visage découvert: en tant qu'avocat de Jonquière, il comptait de nombreuses communautés religieuses parmi ses clients et avait une tante et plusieurs parentes et amies qui étaient des religieuses. Avec une plume impitoyable, M. Dubois écrit que «dans cette affaire se dessine peu à peu une diaphane collusion entre l'Église et l'État, un lien ancestral, un cordon sacerdotal ancré dans la tradition, l'histoire, les familles, unissant le ministre du culte et celui des Finances, faisant d'eux des complices, dans tous les sens du terme, comme jadis, comme il y a cinquante ans».