DUPLESSIS' ORPHANS

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Le vendredi 24 mars 2000


Le Devoir - Orphelins de Duplessis: des voix discordantes venant de l'Église

Lousie Leduc

Pavé dans la mare de l'Église: pour la première fois, la prestigieuse revue jésuite Relations évoque ouvertement la question des orphelins de Duplessis par une virulente critique de la froide attitude des évêques à leur égard.

Dans son plus récent numéro, Relations s'inscrit finalement au débat par la publication d'une lettre écrite par six soeurs Auxiliatrices et cosignée par 64 croyants, religieux ou religieuses.

D'entrée de jeu, les signataires regrettent d'avoir tardé à dire leur déception et leur «grande tristesse devant la logique froide de la déclaration épiscopale et la position défensive qui la marque».

Les signataires font ici référence à la très attendue déclaration épiscopale de septembre dernier par laquelle l'Église du Québec, le cardinal Jean-Claude Turcotte en tête, a fermé la porte à double tour à toute possibilité d'excuses ou de compensations aux orphelins de Duplessis.

Dans leur lettre à Relations, les signataires commencent par rappeler que, pour profiter de plus généreuses subventions fédérales, le régime duplessiste avait à l'époque fait transférer des orphelins tout à fait normaux dans des ailes psychiatriques. «Cela se fit avec la complicité des médecins qui ont posé volontairement de faux diagnostics de maladie mentale, falsification honteuse de la part du corps médical. Les autorités ecclésiastiques concernées ont endossé cette position révoltante et obligé les communautés religieuses à s'y soumettre», écrit-on.

Les signataires soulignent que ce scénario n'a pas été sans faire de victimes et posent la question tout haut: «Accepterons-nous que les autorités gouvernementales, fédérales et provinciales, le Collège des médecins, les autorités ecclésiastiques se justifient et se "lavent les mains" sur le dos des communautés religieuses et, plus encore, sur le dos des victimes?»

Cette année jubilaire, écrit-on encore, appelle à des gestes concrets: l'Église devrait donc saisir l'occasion pour reconnaître les orphelins de Duplessis comme des citoyens à part entière et leur donner les moyens «d'exercer cette citoyenneté dans la dignité».

Un dossier délicat

Dans la présentation du texte, Relations écrit avoir décidé de le publier «parce que la revue considère qu'il constitue une voie importante, une parole de compassion, qui mérite d'être entendue, et qui n'a pu l'être à ce jour. [...] Par delà ses méandres juridiques, le dossier des "orphelins de Duplessis" nous rappelle qu'aucune société ne peut faire l'économie de ces questions, auxquelles Relations consacrera une réflexion» (dans son numéro de décembre prochain).

En entrevue téléphonique, le directeur de Relations, Jean Bellefeuille, signale que l'équipe éditoriale cherchait depuis quelque temps déjà la façon d'aborder intelligemment la question en évitant d'ajouter aux interprétations partiales et partielles.

Aux yeux du directeur de Relations, la bataille des orphelins de Duplessis est légitime, mais «polluée par les intérêts bassement monétaires de cabinets d'avocats».

M. Bellefeuille estime d'ailleurs que la déclaration de l'Assemblée des évêques de septembre, dénuée de réelle compassion, a été teintée par cette crainte de représailles judiciaires et dictée par les mauvais conseils de spécialistes en communications.

Relations a tout fait pour éviter de trop froisser les autorités de l'Église. Aussi les évêques ont-ils reçu par courrier spécial un exemplaire du numéro avant tous les autres abonnés. Cet exemplaire était aussi exceptionnellement accompagné d'une lettre du directeur de Relations.

La petite communauté des soeurs Auxiliatrices, basée à Montréal, se réjouit de ce que leur lettre ait trouvé écho dans Relations. «Il fallait que les gens sachent qu'il existe une voix discordante au sein de l'Église, explique soeur Gisèle Ampleman. Notre communauté a toujours oeuvré dans le sens de la justice sociale et il était important pour nous de prendre position en faveur des orphelins de Duplessis, particulièrement en cette année jubilaire. Il est trop facile de s'excuser simplement pour la lointaine Inquisition... »

Carolyn Sharp, ex-directrice de Relations et aujourd'hui professeur de théologie à l'université St-Paul d'Ottawa, compte parmi les signataires de cette lettre aux allures de pétition. «J'avais déjà quitté Relations quand s'est prise la décision de publier la lettre en question. C'est à titre de croyante, donc, que je l'ai signée.»

Au mieux, souligne-t-elle, la déclaration des évêques de septembre - par laquelle ils croyaient bien à tort mettre fin au débat - a fait montre «d'une absence de souci pastoral pour les orphelins de Duplessis. Au pire, elle aura relevé d'une inacceptable dureté de coeur. L'Église devrait à tout le moins écouter ces personnes, les reconnaître dans leurs souffrances.»

Mme Sharp n'a particulièrement pas digéré que le cardinal Turcotte dise à l'époque aux orphelins de faire «leurs preuves».

Plus encore, il n'est pas vrai, selon Mme Sharp, que tout cela est de l'histoire ancienne qu'il ne faut pas ressasser. «Les orphelins de Duplessis souffrent encore, aujourd'hui, et leurs blessures ne sont toujours pas cicatrisées.»

À l'Assemblée des évêques, personne n'a rappelé pour nous faire part de leur réaction à la lettre publiée dans Relations. À l'Archevêché de Montréal, on nous a répondu par l'habituel «pas de commentaire».

Il faut dire que la semaine a été plutôt pénible pour l'Église, comme pour toutes les institutions sociales ou gouvernementales impliquées dans la saga des orphelins de Duplessis. Hier, la Commission du droit du Canada a joint sa voix à celle du Protecteur du citoyen pour réclamer à son tour que justice soit faite et que les orphelins de Duplessis soient indemnisés.