DUPLESSIS' ORPHANS

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Le mercredi 21 juin 2000



Louise Leduc

Les orphelins de Duplessis fourbissent leurs armes et s'apprêtent à déposer un nouveau recours collectif contre le gouvernement québécois. Pour mettre toutes les chances de leur côté, ils restreignent cependant la définition de «l'orphelin de Duplessis», au grand dam de ceux qui sont exclus de la nouvelle bataille.

«Nous abandonnons nos recours collectifs en suspens et nous repartons sur de toutes nouvelles bases», a expliqué Bruno Roy, président du Comité des orphelins de Duplessis, lors d'un entretien téléphonique.

Lancés il y a huit ans, les recours collectifs étaient souvent mal ciblés et incluaient des orphelins qui se plaignaient tout autant d'avoir été internés injustement, d'avoir été agressés sexuellement dans un orphelinat ou encore d'avoir eu à travailler sur des terres sans rémunération aucune. «Les causes étaient jusqu'ici trop disparates et nous ne répondions pas à la définition même d'un recours collectif.»

Bruno Roy a soutenu avoir entre les mains 550 dossiers on ne peut plus clairs. «Cependant, le chiffre pourrait monter à 1200 orphelins ou, au gros maximum, à 1500. Nos membres font actuellement appel à la Curatelle publique pour qu'elle leur envoie leurs dossiers. Depuis 1945, la Curatelle publique conserve la fiche de tous les citoyens sous sa férule et ses données nous seront précieuses pour prouver notre internement illégal.»

Mieux conseillé, le Comité des orphelins de Duplessis croit avoir toutes les chances d'obtenir gain de cause. «Le gouvernement a tort de croire que nous avons épuisé tous nos recours», a averti M. Roy.

Dans l'immédiat, Bruno Roy ne peut confirmer si les poursuites à venir vont s'attaquer au seul gouvernement québécois ou si elles vont aussi viser l'Église et le Collège des médecins. «Nous songeons pour l'instant à ne poursuivre que le gouvernement, mais notre réflexion se poursuit à ce sujet.»

En mars 1999, lors de ses excuses publiques et de son offre d'un fonds d'aide collectif de trois millions, le gouvernement Bouchard avait confié au comité mené par Bruno Roy la fort délicate tâche de déterminer qui pouvait se considérer de plein droit comme un orphelin de Duplessis.

Une assemblée houleuse

Le resserrement de la définition, maintenant limitée aux seuls faux diagnostics et à l'internement illégal pendant les années 40 et 50, n'a pas été sans provoquer un énorme remous au sein du comité.

Ainsi, lundi soir, sa réunion annuelle a tourné au vinaigre quand l'un des orphelins qui craignait d'être exclu du recours collectif a pris le crachoir un peu trop longtemps et a été invité à quitter la salle. Devant son refus, la police a été appelée en renfort, mais aucune plainte n'a officiellement été déposée contre qui que ce soit.

Aussi, certains orphelins de Duplessis téléphonent souvent aux journaux pour faire part de leurs doléances d'être maintenant exclus.

À cela, Bruno Roy a répondu que son comité «ne peut pas s'occuper de tous les orphelins du Québec» mais promis que tous les orphelins qui ont reçu un faux diagnostic de débilité mentale entre les années 40 et 60 allaient être invités à se joindre recours collectif.

Bruno Roy a par ailleurs expliqué le retour en force devant les tribunaux par l'évident cul-de-sac dans lequel le place Lucien Bouchard. Au cours des dernières semaines, Lucien Bouchard, qui n'a de cesse de répéter qu'on ne peut refaire l'histoire, a continué de refuser catégoriquement toute bonification de ses offres.

Le 29 mai, le ministre des Relations avec les citoyens, Robert Perreault, consentait tout de même à rencontrer Bruno Roy. L'attachée de presse de M. Perreault, Dominique Ollivier, a expliqué hier que le ministre a pris acte du resserrement de la définition d'«orphelin de Duplessis» mais que la chose ne change rien au fond de l'affaire. «Pour les orphelins, la négociation passe par des indemnités individuelles. Or le gouvernement leur préfère toujours une indemnité collective.»

Les orphelins de Duplessis n'en continuent pas moins de gagner des points. Son comité d'appui, mené par le médecin Denis Lazure et l'ancien sénateur Jacques Hébert, compte maintenant une centaine de noms de personnalités ou d'organismes publics, parmi lesquels la Fédération des femmes du Québec.

Et après des reportages dans quelques-unes des plus prestigieuses publications étrangères, comme Le Monde, le New York Times et Le Nouvel Observateur, le Comité des orphelins de Duplessis se fera entendre ce matin sur Radio-Vatican.