DUPLESSIS' ORPHANS

Copied from La Presse

Dimanche 18 mars 2001


Le père des orphelins et des écrivains

Jocelyne Lepage

Tout le monde aime Bruno Roy. Personne ne lui reproche quoi que ce soit, en tout cas publiquement, même ceux qui le trouvent un peu trop indépendantiste. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il fut ramené à la présidence de l'Union des écrivaines et écrivains du Québec après le départ de Denise Boucher, en décembre dernier. Roy avait été à la tête de l'UNEQ de 1987 à 1996.

Depuis que Bruno Roy, 58 ans, père de jumelles qui ont aujourd'hui 25 ans, a fait son «coming out» en 1991 -il a révélé avoir été un orphelin de Duplessis à notre collègue Pierre Vennat- tout le monde se demande comment fait cet homme pour manifester autant d'ouverture aux autres, autant de générosité. Et aussi autant de patience. M. Roy est le porte-parole des orphelins de Duplessis, une cause qu'il n'a nullement abandonnée même s'il s'est fait dire non (aux compensations) par le gouvernement de Lucien Bouchard. Cette affaire-là est loin d'être finie.

Nous avons rencontré cet homme «hors père» comme il dit en parlant de lui-même, mais aussi une sorte de père pour les orphelins et les écrivains. Une rencontre avec l'homme, le romancier et le président de l'UNEQ. Bruno Roy, qui est aussi poète et essayiste, vient de faire paraître un deuxième roman, <i>Les Heures sauvages</i>. Il s'agit, comme le premier, d'un roman inspiré de sa propre enfance et de celle des orphelins, étiquetés retardés, qu'il a connus.

On n'échappe pas à son histoire

«On n'échappe pas à son histoire, dit-il, en parlant du sujet de ses romans. Avant, je vivais en dehors de moi-même. J'avais mis un drap sur mon enfance. Je refusais de m'attarder sur mon passé.» Bruno Roy ne voulait ni se percevoir, ni être perçu, comme une victime. En fait, il considère qu'il a été, d'une certaine façon, privilégié, une religieuse l'ayant rescapé puis envoyé chez les clercs de Saint-Viateur à Joliette quand il fut en âge de quitter l'orphelinat «avec l'équivalent d'une troisième année du primaire». «Ce qu'il faut, c'est que tu existes, explique-t-il. Cette religieuse m'a fait exister.» De l'âge de 16 ans à 21 ans, l'orphelin a fini son primaire et fait son secondaire. Puis il a pu poursuivre des études en entrant en communauté pour devenir enseignant. Par la suite, tout en enseignant comme laïque, il a fait un doctorat en littérature. Sa thèse portait sur la chanson.

«En 1970, j'ai rencontré une phrase de Gaston Miron qui se lisait ainsi: Un jour, j'aurai dit oui à ma naissance. J'ai compris alors qu'il me faudrait dire oui à mon histoire. Cette phrase m'a poussé à l'écriture. C'est par elle que j'ai compris le pouvoir des mots. Au début, j'ai fait des pastiches de Gaston Miron, j'étais sous l'influence de l'école de l'Hexagone. J'ai aussi écrit trois livres sur la chanson québécoise.»

Bruno Roy est devenu un écrivain engagé, politiquement, en passant par la chanson québécoise. «J'étais engagé dans toutes sortes de causes, dans la cause nationale, contre les injustices sociales... mais pas engagé dans une cause qui m'interpellait moi, personnellement.»

Le privé est politique

En rendant son histoire publique grâce à Vennat, même s'il le l'avait pas prévu, Bruno Roy a donné de ses nouvelles aux orphelins avec qui il avait vécu. Ils sont allés le chercher pour qu'il les aide à défendre leur cause. Il n'a pas pu refuser.

«Alors j'ai changé comme écrivain, dit-il. Et je comprends bien ce que veulent dire les femmes quand elles disent que le privé est politique.»

Le roman qui vient de paraître, <i>Les Heures sauvages</i>, (éditions XYZ) se déroule sur trois jours, du Vendredi saint à Pâques. Il commence par l'évasion d'un jeune homme -un orphelin que l'on garde à l'asile même s'il n'est pas malade mentalement. Il connaîtra une sorte de résurrection grâce à une rencontre avec un vieil érudit sans-abri et grâce à l'amour. «Le salut est dans la rencontre, dit Roy en reprenant une phrase de Simone Weil». <i>Les Heures sauvages</i> fait suite aux <i>Calepins de Julien</i>, celui-là plus autobiographique. Il y aura un troisième roman sur le même thème inspiré des Orphelins de Duplessis. Il traitera celui-là d'orphelins placés dans des fermes et que l'on appelait «engagés».

Les problèmes de l'UNEQ

Si les orphelins de Duplessis occupent beaucoup de place dans sa vie et dans son oeuvre romanesque, Bruno Roy s'occupe aussi de défendre les intérêts des écrivains. Il reconnaît qu'il y a eu de la bisbille l'an dernier au sein de l'Union. Certains auteurs ne se sentent pas chez eux là où l'on a tendance à privilégier le roman, la poésie, l'écriture littéraire au détriment de l'essai, des livres pour enfants, de la littérature populaire, par exemple. D'autres membres souhaitent que l'Union s'occupe de défendre les intérêts des auteurs et laisse tomber l'appui officiel donné au mouvement indépendantiste québécois.

«Il y aura un congrès d'orientation l'automne prochain, dit Bruno Roy. Il faut comprendre que la position défendue par l'UNEQ a été approuvée par les membres. Si les membres n'y tiennent plus, ils en choisiront une autre.» L'UNEQ, explique-t-il, a été créée en 1977 par une cinquantaine d'écrivains autour de Jacques Godbout. Elle avait deux objectifs: défendre les intérêts socio-économiques des écrivains et promouvoir la littérature québécoise et les écrivains (il y a des anglophones dans l'Union).

Avant d'appuyer l'indépendance, l'UNEQ était intervenue sur la question de la langue et faisait partie du mouvement Québec français avec les syndicats, l'UDA, les nationalistes, les artistes. On est en 1987, sous la gouverne d'Yves Beauchemin.

«Le Mouvement Québec français en est venu à la conclusion que la défense totale du français n'était possible qu'avec la souveraineté, poursuit-il. La langue est notre premier matériau et la souveraineté, le meilleur moyen de la sauvegarder. Une conclusion adoptée par l'Union en assemblée générale et par vote postal.» En 1992, l'Union se joint au Mouvement pour la souveraineté qui regroupe des citoyens et des organismes. «Puis il y a eu le référendum de 1995 et, aujourd'hui, des membres se posent des questions sur la pertinence de garder ces positions.

«L'UNEQ pourrait juger plus à propos de n'intervenir que sur les questions touchant la langue, par exemple. Décider de concentrer l'énergie sur le dossier le plus important à venir: les droits électroniques...»

Quant à Métropolis Bleu, «l'autre» festival de littérature, bilingue celui-là, qui fait ombrage à la plus importante manifestation de l'UNEQ -le Festival de la littérature- Bruno Roy dit n'avoir rien contre, mais il aurait préféré qu'il ait lieu à l'automne plutôt que quelques jours avant celui de l'Union. Selon Bruno Roy, on dirait que c'est fait exprès pour créer une controverse.