DUPLESSIS' ORPHANS

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Le vendredi 17 septembre 1999


Le Devoir - Orphelins deux fois

Bernard Descôteaux

Surprenant et combien décevant est ce refus de l'Assemblée des évêques du Québec d'offrir des excuses publiques aux orphelins de Duplessis dont le dossier, plutôt que de progresser, s'enlise de plus en plus. Qui peut contester qu'une grave injustice ait été commise à l'endroit de ces milliers de personnes que leur statut d'orphelins ou d'enfants abandonnés condamnait à une autre époque à vivre internées en orphelinat ou, pire, dans des hôpitaux psychiatriques? Les sévices, abus et injustices dont nombre d'entre eux ont été victimes sont bien documentés. Ultime recours de ces personnes, le Protecteur du citoyen, Daniel Jacoby, proposait en janvier 1997 des pistes de solution autour desquelles on continue malheureusement à tergiverser.

La position qu'allaient prendre cette semaine les évêques était attendue. Après que le gouvernement québécois, par la voix du premier ministre, eut offert de timides excuses publiques à ces personnes, on espérait que l'Église du Québec fasse à son tour cette indispensable confession de ses torts, ce qui aurait facilité les discussions. Le troisième acteur de ce drame, le Collège des médecins, à titre de représentant de la profession médicale, n'aurait guère eu le choix de s'exécuter à son tour. Cela fait, on aurait enfin pu aborder la question des indemnisations et du régime d'aide à offrir aux victimes.

Présenter des excuses n'est pas chose facile, surtout lorsqu'une telle démarche intervient dans un contexte de rapports de tension comme celui créé par le comité des orphelins de Duplessis, avec ses multiples manifestations et ses accusations injustes portées à l'endroit des communautés religieuses de s'être enrichies sur le dos des enfants. On peut comprendre qu'ainsi agressés, les évêques aient eu des réticences à exprimer des regrets au nom de leurs prédécesseurs et qu'ils aient craint que leurs excuses puissent être interprétées comme un aveu de responsabilité susceptible de coûter très cher le moment venu de parler de compensations.

L'attitude défensive adoptée par l'Assemblée des évêques se retrouve en filigrane tout au long de la déclaration publiée mercredi. Cela transpire le refus de composer avec les demandes du comité des orphelins. S'ils emploient au passage le mot compassion, ce sentiment ne se retrouve pas vraiment dans leurs propos, qui se limitent à défendre la générosité passée de l'Église à l'égard des enfants orphelins et abandonnés, rôle qu'elle a tenu en lieu et place de l'État. Pourtant, admettre que des erreurs, des abus et des injustices ont été commis et que l'Église y a concouru n'aurait en rien constitué «un désaveu du travail historique accompli dans des conditions difficiles» par les religieuses. Ce sont des réalités qui ne s'opposent pas.

Habituée à un rôle d'intermédiaire entre Dieu et les hommes, l'Église n'est pas à l'aise lorsqu'elle se retrouve, comme c'est le cas ici, l'une des parties en cause et qu'elle doit alors se livrer à son propre examen de conscience. Celle qui doit s'exprimer, c'est l'Église institutionnelle. Elle est certes différente aujourd'hui d'hier, mais elle ne peut renier son passé. Alors que la société québécoise a reconnu sa responsabilité morale à l'endroit des orphelins de Duplessis, on comprendrait difficilement que cette Église institutionnelle, qui a joué un rôle si grand dans leur vie, n'en prenne pas sa part.

L'attitude actuelle des évêques aura pour effet de prolonger un débat qui a déjà bien trop duré. Il y a maintenant 35 ans que, pour la première fois, une victime de ce système révélait à la société ce qu'avait été sa «chienne de vie». On ne peut accepter que la tache que laissera dans les livres d'histoire cet épisode ne soit atténuée par un règlement convenable, surtout que partout ailleurs au Canada les situations similaires ont été l'objet de mesures correctives.

Les pistes de solution proposées en 1997 par le Protecteur du citoyen s'inspiraient justement de ces règlements intervenus ailleurs. Les avenues proposées demeurent toujours aussi valables. Au centre de tout doit être, comme le recommandait Me Jacoby, la reconnaissance de la responsabilité morale de la société. Il devra y avoir expression de regrets par les principaux acteurs de ce drame et redressement des torts causés. La valeur de ce redressement est certainement un enjeu capital. Entre les trois millions offerts par le gouvernement et les 100 millions suggérés par Me Jacoby, il y a probablement un moyen terme qu'il faut continuer à chercher, car tant qu'un règlement n'interviendra pas, ces orphelins se sentiront doublement abandonnés.