DUPLESSIS' ORPHANS

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Le mardi 9 mars 1999


Le Devoir - Le Protecteur du citoyen dénonce la conspiration État-Église-médecins

Mario Cloutier

Daniel Jacoby exige au moins 60 millions en indemnisations

Le Protecteur du citoyen, Daniel Jacoby, critique sévèrement la décision du gouvernement Bouchard de ne pas accorder d'indemnisations individuelles aux orphelins de Duplessis. Se basant sur des expériences similaires dans d'autres provinces, M. Jacoby établit à un montant variant entre 60 et 100 millions les indemnisations servant à compléter la décision «injuste et humiliante» du gouvernement Bouchard.

«Je pense que dans ce dossier au Québec, il y a une espèce de conspiration du silence qui est inadmissible», a déclaré hier le Protecteur du citoyen.

M. Jacoby explique que le gouvernement, les autorités religieuses et le Collège des médecins devraient commencer par reconnaître conjointement la faute commise il y a plusieurs années. Il pense que les autorités religieuses et le Collège des médecins devraient joindre leurs excuses officielles à celles du gouvernement. «Il y a eu une complicité par l'action des médecins à l'époque», dit-il.

Quant aux institutions religieuses, ajoute M. Jacoby, elles devraient s'inspirer du texte de la Conférence canadienne des évêques catholiques de 1992 qu'il a cité hier.

«La crainte du scandale conditionne trop souvent nos réactions instinctives de vouloir protéger les auteurs et une certaine image de l'institution.»

Le Protecteur du citoyen réplique, un à un, aux arguments du gouvernement qui se dit impuissant à refaire l'histoire ou incapable de déterminer le nombre exact de victimes à indemniser.

«Il s'agit de corriger des injustices de l'histoire», répond M. Jacoby. Il faut s'occuper, selon lui, des préjudices et de leurs séquelles que vivent encore aujourd'hui les orphelins. Selon le Protecteur du citoyen, c'est une fausseté et un «prétexte» que se donne le gouvernement quand il affirme ne pouvoir déterminer avec certitude le nombre de victimes de traitements illégaux et abusifs.

Sans même tenir d'enquête, soutient-il, les archives des communautés religieuses, les dossiers existant chez le Procureur général pour les plaintes pénales déjà déposées et les nombreuses études seraient amplement nécessaires pour que soient étudiés et réglés les dossiers des orphelins.

«Ce serait quand même invraisemblable que, pour des actes qui se sont passés au Québec, on ne puisse pas trouver d'éléments de preuve, alors que partout ailleurs, pour des actes similaires et pour des époques qui remontent à très loin, on réussit finalement à justifier des réclamations.»

Entre 2000 et 3000 orphelins de Duplessis devraient avoir droit à un montant compensatoire global de 60 à 100 millions, pense M. Jacoby. Il souligne qu'ailleurs au Canada, les compensations individuelles moyennes pour des dommages similaires ont atteint entre 14 000 et 41 000 $.

À titre d'exemple, en Ontario, des femmes ont reçu en moyenne 37 000 $ pour des sévices physiques ou sexuels subis dans une école de formation entre 1933 et 1976. En Colombie-Britannique, des enfants sourds ont pu obtenir une indemnité moyenne de 36 000 $ en 1993 grâce à l'intervention du Protecteur du citoyen.

En conséquence, M. Jacoby suggère qu'un comité tripartite, formé du gouvernement, du Comité des orphelins de Duplessis et du Protecteur du citoyen, soit mis sur pied pour étudier au cas par cas les dossiers et accorder des indemnisations sans penser, précise-t-il toutefois, qu'il soit possible d'établir des preuves «hors de tout doute raisonnable».

M. Jacoby demande au gouvernement de revoir sa décision rapidement afin de se soumettre aux règlements intervenus ailleurs au Canada. Il ne croit pas que la problématique des orphelins de Duplessis soit plus diffuse que celles d'autres victimes de ce genre de sévices dans les autres provinces. Déjà, rappelle-t-il, six établissements québécois ont été clairement visés par les recours collectifs des orphelins au cours des ans.

«Ce n'est pas des mirages. Ce n'est pas une légende. C'est une réalité.»

Reprenant la perspective du premier ministre Bouchard sur le nouveau millénaire, le Protecteur du citoyen conclut qu'il est temps de faire acte de rédemption.

«Partout dans le monde et au Canada on profite de la fin du millénaire pour expier certains crimes, dans certains cas, pour corriger des injustices. On le voit à l'échelle de la planète. Le Québec, pourquoi devrait-il faire bande à part?»

Parce que le choix du gouvernement, a rappelé hier le ministre responsable des Relations avec le citoyen, Robert Perreault, est plutôt d'accompagner les personnes dans leurs démarches par un fonds spécial. Il se retranche derrière ce choix pour dire que les cas canadiens soulevés par le Protecteur du citoyen ne s'appliquent pas nécessairement au Québec.

Également en réaction à la sortie du Protecteur, le président du Comité des orphelins de Duplessis, Bruno Roy, s'est dit satisfait de voir qu'enfin quelqu'un donnait «l'heure juste» dans ce dossier. M. Roy ne se fait pas d'illusions sur la réaction du gouvernement Bouchard par ailleurs. Il continue de réclamer une enquête, la seule action qui pourrait donner «la vraie mesure du dossier».